par Antoine Gerbelle
Catalogne du nord contre Catalogne du sud: l’idée de cette confrontation
excite nos papilles depuis que nous voyons s'agrandir le fossé économique
entre ces deux appellations phares de la Méditerranée occidentale.
D'abord, soyons précis. Il ne s'agit pas de vignobles voisins : 275 km et
les Pyrénées séparent Perpignan de Falset, le centre économique du
Priorat. Mais ils ont en commun de produire des vins rouges riches en
alcool à partir des mêmes cépages (grenache noir et carignan noir
dominants) sur un substrat proche, dominé par des schistes décomposés, sur
des coteaux en terrasses. Ils partagent aussi un climat sec, voire très
sec, sous une influence maritime qui rafraîchit les nuits. Dans les deux
cas, nous sommes face à des vignobles dont l'origine se perd dans la nuit
des temps, jadis réputés pour leur vins noirs, épais, fortifiants, de
coupages jusqu'à Bordeaux...), et dont le retour parmi les vins secs de
qualité internationale est récent. Ils parlent la même langue sans avoir
la même nationalité.
Le Priorat en plein essor
Dans les années 60, la région du Priorat était l’une des plus pauvres
d'Espagne. Depuis, le vignoble a été multiplié par dix (2 000 ha). Les
négociants internationaux, tels Miguel Torrès ou Osborne, s'y étendent.
Plus de dix caves naissent chaque année. Avec des investissements
extraordinaires, comme le projet architectural de Sergi Ferrer-Salat, fils
d'une grande famille barcelonaise, et Raul Bobet, ex-maître des
vinifications chez Torres (www.ferrerbobet.com).
Les Côtes du Roussillon Villages ("CDRV", en AOC depuis 1999) désignent
les rouges produits sur 32 communes du nord-ouest de Perpignan. Les
coopératives en panne d'ambition ont ici été doublées par les caves
particulières de vignerons enthousiastes, suivis par des investisseurs
professionnels sérieux tels Jeanjean, Gérard Bertrand ou le
saint-émilionnais Jean-Luc Thunevin.
Cette confrontation organisée par un jury français (il est important de
souligner notre culture de goût) confirme que le Priorat ne produit pas
les vins les plus digestes. Sauf exception, nous avons unanimement
apprécié chez les Espagnols les millésimes "légers", comme 2002. A table,
l'avantage va au Roussillon, du fait de leur fraîcheur préservée, de leur
équilibre, de leur moindre charge tannique. D'autre part, la tenue dans le
temps des priorats (au-delà de dix ans) relève de la spéculation.
Le Roussillon doit progresser
Exception faite de bouteilles telles que l'Ermita d'Alvaro Palacio (entre
350 et 550 €, non présentée à la dégustation), les priorats sont en
moyenne deux fois plus chers que les roussillon-villages, sans
justification pour une majorité. Et le Priorat peine à vendre sa
production, surtout sur le marché intérieur. D'ici à peu, des deuxièmes
vins, moins étoffés, moins boisés et plus faciles d'accès, seront
d'ailleurs disponibles.
D'un point de vue gustatif, les deux familles ont leur travers. Le défaut
principal des priorats est la surextraction et l'assèchement par un
élevage en barriques au boisé toasté et "cocolactone". Des vins exagérés,
qui manquent de finesse et de raffinement, mais jamais de concentration.
En Roussillon, les imperfections (plus nombreuses au prorata des vins
dégustés) se situent parmi des rouges d’expression végétale, en
sous-maturité phénolique, rustiques en tanins, imprécis dans l'élevage
(déviances aromatiques), gâtés par des boisés de mauvaise qualité. En
cela, le Roussillon doit continuer à combler son retard technique et
oenologique.
15/20
PRIMO PALATUM
FRANCE
CÔTES DU ROUSSILLON ROUGE 2002
Un vin aromatique, avec un nez sur le gratin de fruits rouges, dominé par
des notes de fraises.
En bouche, la matière est élégante et dense, en restant dans la fraîcheur
inhérente au millésime.
Un roussillon digeste et équilibré.
14.5/20
PRIMO PALATUM
ESPACNE
PRIORAT 2000
Après aération, le nez s'ouvre sur des notes de torréfaction et de fruits
compotés.
La bouche est pleine, charnue, chaleureuse, également portée par des
arômes mûrs et persistants.
Finale fine et douce. |